Les époux de la Garaye
Des mondanités à la charité
CLAUDE-TOUSSAINT DE LA GARAYE
Claude-Toussaint Marot de la Garaye est né le 27 octobre 1675 à Rennes et a été baptisé le 30 octobre suivant à l’église Saint-Germain. Il est issu d’une famille ennoblie par Henri IV, à la suite de l’engagement de Raoul Marot des Alleux, sénéchal de Dinan aux côtés du roi en 1598.
Claude-Toussaint et ses frères font leur scolarité au collège d’Harcourt à Paris, puis poursuivent leur formation dans une académie, ces institutions qui préparaient les jeunes nobles aussi bien à la vie militaire qu’aux obligations de la vie mondaine. Il est physiquement très à l’aise et cela lui vaut des succès, aussi bien à cheval que dans l’escrime ou dans la danse.
En 1692, à 17 ans, il perd son père, et entre, avec ses deux frères, dans une compagnie de Mousquetaires au sein de laquelle il se fait remarquer par sa bravoure, en particulier lors du siège de Namur, la même année. C’est durant ses années qu’il laisse se développer en lui la passion de la chasse.
MARIE-MARGUERITE DE LA MOTTE-PICQUET
Marie-Marguerite de la Motte Picquet est née le 24 décembre 1681 à Vannes. Elle a été baptisée le même jour à l’église Saint-Pierre. Son père est un riche greffier en chef du Parlement de Bretagne. Nous n’avons pas d’informations sur son éducation. La correspondance montre qu’elle a été moins poussée que celle de son mari.
La chasse est la grande passion du comte, qu’il a transmise à son épouse. Il entretient une meute réputée comme l’une des plus belles de France, et une trentaine de chevaux occupent les écuries près du château. Marie-Marguerite manifeste des capacités équestres qui surprennent chez une femme. Elle participe de manière active et courageuse aux chasses et aux courses, avec un plaisir évident.
Marié le 7 février 1701, dans la chapelle de Launay du Han à Montreuil le Gast, Claude-Toussaint suit les conseils de son beau-père qui veut le voir entrer comme lui au Parlement de Bretagne. Le couple d’aristocrates se retire au château de la Garaye, à Taden près de Dinan, pour y mener une vie faste, semblable à beaucoup d’autres. Claude-Toussaint reconnaitra qu’ils ont vécu de manière insouciante, « comme si Dieu n’existait pas ».
LA CONVERSION DES ÉPOUX LA GARAYE
De 1703 à 1710, le Comte de la Garaye et son épouse vont franchir les étapes d’une conversion profonde qui va les amener à changer radicalement de vie. Plusieurs événements douloureux jalonnent cet itinéraire. En 1703, Marie Marguerite a un grave accident de cheval, lui faisant perdre tout espoir de devenir un jour mère. L’année suivante, Claude-Toussaint est impressionné par le départ pour le monastère de la Trappe de l’un de ses amis proches, M. de Thalouet de Keravion, qui fait profession en septembre et meurt le 2 mars suivant. Au cours d’un voyage pour une cure de Marie-Marguerite à Bourbon l’Archambault, la rencontre de prisonniers russes dans un état de dénuement effrayant suscite une réaction immédiate de Claude-Toussaint, qui leur achète de quoi se vêtir. Sur le trajet du retour, le couple s’arrête plusieurs mois à Paris, pendant lesquels Claude-Toussaint suit un cours de chimie chez le célèbre scientifique Lémery. Il y apprend à préparer certains médicaments qu’il distribue aux pauvres de son voisinage une fois rentré à La Garaye.
C’est durant ces années qu’une question le préoccupe, que rapportent plusieurs témoins : « Suis-je donc sur la terre pour prendre des cerfs, pour tuer des loups et des sangliers ? À quoi me servira de passer ainsi ma vie dans des divertissements qui absorbent tous mes revenus et qui me font perdre un temps précieux dont il me faudra rendre compte à Dieu ? » A la suite de ces événements, le mode de vie du couple change, les fêtes se font moins fréquentes. En 1708, Louis-Marie Grignion de Montfort prêche à Dinan. Il est très probable qu’il a rencontré les époux La Garaye, en tous cas ceux-ci manifesteront plus tard la vénération qu’ils lui portent dans les échanges épistolaires liés à la venue des Filles de la Sagesse à Dinan.
C’est en février 1710 que cette lente maturation va porter un fruit de conversion radical, à l’occasion d’un nouveau drame : la mort brutale du beau-frère de Claude-Toussaint, le comte de Pontbriand. Au matin d’une nuit de combat spirituel, celui-ci annonce au moine sa décision. Après avoir interrogé son épouse sur ce projet, il a la surprise de découvrir qu’elle avait intérieurement pris la même résolution. Ils font chacun une semaine de retraite qui confirme leur changement de vie.
« J’ai résolu de renoncer entièrement au monde, à tous ses plaisirs, à toutes ses vanités, de vendre ma vaisselle, mes chevaux, mes chiens et les meubles dont je puis me passer ; de congédier tous mes domestiques à l’exception de ceux qui voudront rester pour m’aider à servir les pauvres à qui je veux désormais donner tout mon revenu et avec qui je veux vivre en les servant le reste de mes jours. »
De dépendances en hôpital
Les parents de Claude-Toussaint ont laissé une réputation de grande vertu, ils avaient ce souci des pauvres qui deviendra l’essentiel de la vie de leur fils, et ont pu le lui transmettre par l’exemple. L’entourage familial plus large poussait à la piété, puisque pas moins de neuf sœurs de Guillaume étaient religieuses dans différents monastères. A la suite de leur conversion, les époux La Garaye décident d’accueillir les pauvres au château, dans un premier temps pour les nourrir, puis pour les héberger en cas de besoin.
Malgré leur générosité, et leur engagement personnel dans l’accueil des pauvres, ils prennent vite conscience du fait que le soin des malades nécessite des compétences qu’ils n’ont pas. Ils prendront la route de Paris en 1714 pour acquérir les compétences nécessaires, Claude-Toussaint s’orientant principalement vers la chirurgie, quant à Marie-Marguerite vers l’ophtalmologue. Il était particulièrement connu pour ses traitements des ulcères cutanés grâce aux « sels essentiels » qu’il fabriquait.
Une étude menée sur les registres de la paroisse de Taden a montré que la mortalité à la Garaye, malgré la concentration des malades était assez faible, très nettement inférieure à celle des hôpitaux de ville sur lesquels de telles recherches ont été menées. On peut souligner, comme éléments d’explication de cette efficacité thérapeutique l’importance accordée par les La Garaye à l’hygiène et à l’alimentation des malades, deux éléments qui pouvaient être déterminants pour permettre à des organismes fragilisés de reprendre le dessus sur des processus infectieux.
Ce n’est qu’en 1745 que Claude-Toussaint publiera son livre, « La chymie hydraulique ». Celui-ci sera traduit quatre ans plus tard en allemand et sera l’objet de nombreuses discussions scientifiques, en particulier lors d’une thèse de chimie à Leyde en 1751, à l’académie des sciences et à la faculté de médecine à Paris.
Engagement social et politique
Alors qu’il est pleinement investi dans le soin des pauvres malades, Claude-Toussaint est loin de se limiter à cette activité. On peut être impressionné par l’ampleur des chantiers qu’il a menés à bien.
Il faut souligner dans un premier temps le versant social de son soutien aux pauvres. Il comprend rapidement que la distribution d’aumônes n’est pas une solution. Il cherche des moyens de leur procurer du travail par des chantiers à la Garaye, par la formation professionnelle dans le tissage pour les jeunes filles, par une tentative de manufacture de poterie. Son plus grand chantier a été de créer, sur la commune de Saint-Suliac, des marais salants qui ont été en activité rentable jusqu’à la fin du XIXème siècle.
Si le soin des pauvres est au cœur de sa vie, il n’en néglige pas pour autant la place qu’il doit tenir dans la société, comme seigneur devant administrer son domaine et rendre la justice. La trace laissé par le comte de La Garaye dans les archives de la région est principalement celle de cette activité institutionnelle et politique. Il n’hésite pas à intervenir aux États de Bretagne lorsque les délégués du roi lui semblent commettre des injustices, ou lorsqu’il veut faire avancer un projet qui lui tient à cœur comme l’Hôtel des gentilshommes de Rennes.
On voit les Époux La Garaye mettre en place des lieux d’accueil et de soin des pauvres tenus par des religieuses : les Filles du Saint Esprit dont leur première fondation est à Taden (1729), mais aussi les Filles de la Sagesse à Dinan (1751). Ils veillent à la formation des religieuses et au financement de leurs maisons. D’autres dons et d’autres fondations font l’objet d’actes notariés pendant les dernières années de la vie de Claude-Toussaint pour assurer le soutien des pauvres et des malades dans des paroisses bretonnes. Des sommes considérables sont ainsi distribuées, plus de 100 000 livres, soit plus de trois fois le revenu annuel de l’évêque de Saint-Malo.